Témoignage de mes parents

Notre fils Christian est né sans aucun problème. Mais à l'âge de sept mois, il ne semblait pas réagir lorsqu'un bruit se produisait. Une surdité profonde a finalement été diagnostiquée vers un an. Nous étions très surpris et peinés. Aucun professionnel de la santé, aucune institution ou organisme public ne nous a activement accompagnés ou conseillés. Malgré notre désarroi, nous nous sommes débrouillés pour prendre soin de notre enfant et pour assurer son bien-être. Nous avons appris la langue des signes, qui en était aux balbutiements à cette époque et en compétition avec le langage parlé complété (LPC), en suivant un cours un soir par semaine, lorsque Christian avait 2 ans.

Nous avons reçu et dû remplir quantité de papiers administratifs de l'assurance invalidité, pour les appareils auditifs, en vue de l'accompagnement à l'école spécialisée, et bien d’autres choses encore. Christian a été étiqueté administrativement comme un enfant en situation de handicap. Nous souhaitions par exemple qu'il participe au jardin d’enfants de notre quartier avec les enfants entendants. Au niveau administratif, nous avons dû nous battre comme des fous pour que sa participation soit acceptée. Et finalement, c’est une enseignante que nous avions contactée nous-même qui a accepté de recevoir Christian dans sa classe. Et cette enseignante n’a eu que des éloges sur lui, le qualifiant de « locomotive de la classe ».

En ce qui concerne l'enseignement obligatoire, Christian n'a fréquenté que l'école spécialisée. Nous avons constaté qu'il y apprenait beaucoup plus lentement et nettement moins que les enfants entendants. Le programme d'enseignement spécialisé n'était pas suffisant pour lui permettre de développer tout son potentiel, alors que nous avions constaté que notre enfant était compétent pour apprendre aussi rapidement que les autres enfants.

À l'adolescence, Christian était très attentif et très avide d'apprendre. Il était frustré lorsqu'il voyait son frère aîné François suivre une scolarité normale. Christian se rendait bien compte qu’il n’avait pas accès à de nombreuses branches que son frère étudiait .

Un jour, Christian nous a demandé s'il pouvait intégrer une classe ordinaire pour rattraper son retard scolaire. Nous l'avons soutenu dans cette démarche. En tant que parents, nous nous sommes battus avec force et ténacité pour son intégration, car l'institution spécialisée aussi bien que l'école public refusait de l’intégrer à cause de sa surdité. Christian lui-même a consacré énormément de temps à se battre. Il a finalement pu rejoindre une classe ordinaire et il s’y est très bien intégré.

Christian est ensuite aller au collège, puis à une université. Il devait faire d’énormes efforts  pour apprendre, mais il était infatigable. Il a obtenu un baccalauréat, puis un diplôme universitaire. Mais il a aussi été confronté à de la discrimination à l'université. Par exemple, un professeur lui a refusé de passer un examen oral avec l'aide d'un interprète en langue des signes, en prétextant que l’interprète pourrait répondre à sa place, et proposait de remplacer l’examen oral de 30 minutes par un examen écrit de quatre heures. Christian était indigné et nous étions scandalisés par une telle injustice

De même, dans le parcours professionnel de Christian, sa surdité a fortement limité son accès au marché du travail. Il a fait un très grand nombre de demandes d'emploi et n'a reçu que des réponses négatives. Il a fait un stage dans l'administration publique, payé par l'assurance invalidité, soit 2 000.- par mois pendant un an. Ensuite, l'administration publique a décidé de l'embaucher. Mais il n'a pas obtenu de contrat à la fin de son stage, bien qu'il l'ait demandé à plusieurs reprises. Ce n’est que quelques jours plus tard, après avoir pris son poste de collaborateur scientifique, qu’il a reçu son contrat et qu’il a découvert que son salaire brut avait été fixé arbitrairement à environ 3 000 francs par mois. Indigné, Christian s'est à nouveau battu contre cette injustice. Il nous a même raconté que son supérieur lui avait dit qu'il devrait être soutenu financièrement par nous, en tant que parents. Nous en étions abasourdis.

Ces dernières années, Christian a perdu successivement trois emplois, pourtant tous dans des organisations connues en faveur des personnes en situation de handicap. Il y a aussi été victime de discriminations répétées. Dans ces organisations, une majorité de cadres non handicapés occupent les postes à la place de personnes en situation de handicap. Nous ne pouvons pas comprendre l’attitude de ces organisations, alors que les personnes handicapées rencontrent des difficultés à trouver un emploi ! Les personnes avec lesquelles Christian a travaillé ont en général profité et abusé de notre fils.

Malheureusement, malgré notre expérience de parents d'un enfant en situation de handicap, nous ne sommes pas entendus et notre combat n'est en rien reconnu, alors qu’il serait important que les parents de chaque enfant handicapé - quel que soit son âge - soient pleinement reconnus dans leur lutte contre la discrimination et les stéréotypes qui entourent un handicap ! Il est grand temps de mettre fin à ces injustices et de permettre à tous de vivre normalement. Ce qui est essentiel pour nous, comme pour les autres parents, c'est le bonheur et le bien-être de notre enfant.

Finalement, nous sommes heureux de constater que de nombreuses personnes, handicapées ou non, sont maintenant prêtes à s'engager politiquement pour que tout cela change ! Nous les soutenons pleinement dans cette démarche.

 Monique et Gérard Gremaud